Histoire de pochette : Bruce Springsteen
BRUCE SPRINGSTEEN : NEBRASKA, Columbia, 1982
Rarement, depuis l’apparition du microsillon, pochette de disque aura illustré aussi fidèlement son contenu : l’envers de l’American Dream, enregistré sur un matériel accessible à n’importe quel musicien débutant.
A la fin de l’année 1981, quand s’achève la tournée mondiale qui a accompagné la sortie de The River, Springsteen est une star. Aux États-Unis, le statut d’un musicien change quand il passe de disque d’or à disque de platine. Le Boss va sentir ce changement, quelque peu déstabilisant, lorsque des hordes de fans vont commencer à l’aborder dans la rue pour lui demander un autographe (on ne pratique pas encore le selfie à l’époque). Sa réaction sera d’opérer un repli sur lui-même, de prendre le temps de réfléchir à ce que ce changement implique, notamment dans sa relation à ceux au milieu desquels il a grandi, ces cols bleus qui sont le sujet de la plupart de ses chansons, et son rapport à ce nouveau public.
Fuyant cette agitation, il s’isole dans sa maison de Colts Neck, dans le New Jersey, pour faire le point et composer. À la recherche de thèmes pour de futures chansons, il s’immerge dans le visionnage de films et la lecture de livres sur l’histoire des États-Unis, biographies de Woody Guthrie, de vétérans du Viêt Nam, romans noirs, nouvelles de Flannery O’Connor. Côté bande-son, il écoute en boucle Guthrie, Dylan et Hank Williams. La prose d’O’Connor va le reconnecter avec l’expérience vécue. En réaction, il dépouille son écriture de ses métaphores et de sa tendance à l’onirisme. L’influence de cette écrivaine l’amène aussi à se pencher sur son enfance, sa spiritualité, et à utiliser ces matériaux. C’est sur ce terreau que Nebraska prend forme.
Pressé de coucher ses nouvelles chansons sur bande, il décide de sauter l’étape studio avec le E Street Band, trop lente, trop lourde, et de les enregistrer en solo, dans la perspective de les retravailler plus tard avec le groupe. Il demande alors à son technicien guitare, Mike Batlan, de lui acheter un magnétophone facile à utiliser pour tester ses nouveaux titres et esquisser des idées d’arrangements. C’est ici qu’entre en scène le TEAC 144 Portastudio, un magnétophone quatre pistes à cassette qui démocratisera le concept de home studio, un outil jusqu’ici réservé aux rock stars. Entre décembre 1981 et janvier 1982, une quinzaine de morceaux sont mis en boîte. Une fois posés la guitare et le chant, Springsteen ajoute de l’harmonica, de la mandoline, du glockenspiel et des percussions sur les pistes libres.
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